Nouvelle année

Il y a toujours une page vierge qui reste à écrire, une page primitive qui efface patiemment toutes les tentatives mortifères pour laisser place au berceau des possibles. En ce début d’année, je vous souhaite de bleuir ces lettres d’un possible renouvellement et de plonger toujours au plus profond de notre humanité pour révéler la joie d’exister.

Et pour bien commencer ce potentiel renouveau, voici un poème de Catherine Pont-Humbert tiré de son recueil Noir printemps.

Sans les mots

I

Écrire sans les mots
Sans trace des révoltes qui grondent dans les entrailles
Sans le tourbillon du manège emballé

Écrire dans l’invisible
Dans le blanc partout répandu
Dans le silence jeté au sol

Écrire dans la poussière

Quand la phrase égarée
Trace noire sur blanc
Continue à la marge du texte
Invincible, irréductible

Quand le vers tout armé fend la page
Se pose au coin de la feuille
Ne réclame rien de plus que sa présence

Quand rien n’arrête plus l’élan
Que l’avenir s’invente dans le livre

Écrire dans l’ordre des choses installé

Écrire dans la paix réparée
Tendres douceurs enfin écloses
Venues caresser l’âme

II

Écrire pour dire la lumière des choses simples
Pour atteindre le chant rude
Écrire le peu, l’urgent, le désœuvré

Les mots sont prêts depuis toujours
Enfouis dans une mer de silence
Écrire pour les guider vers la surface
Inscrire leur fixité, leur souplesse, leur densité
Écrire pour dire la marque indélébile
De ceux partis toujours présents
Laisser leur trace dans l’écriture

Écrire pour cerner la forme
De ce qui en nous demeure
Sculpter l’absence

Écrire un corps de lettres
Une maison pour abriter le vide
Esquisser la caresse d’une phrase

Écrire pour tracer une géométrie
Suivre d’un doigt tremblant
Le relevé sismographique d’une vie

Écrire pour s’attraper au filet de la toile
Entre les lignes laisser filtrer
Le grand soleil de l’imaginaire

Écrire pour arpenter le monde secret
Les coulisses, les lignes de fuite
Là où tout glisse

Pour accueillir les eaux furieuses de la vie
Voir la puissance des miroitements
Nous faire trembler

Écrire la vague de l’amour éperdu
Pour sentir son éblouissement nous chavirer

Écrire la joie qui soulève jusqu’au sommet
Le désir de l’arpenter

Écrire brisures et tendresses mêlées
Éclats, décombres et désirs

Énigmes et opacités
Elles qui de l’inconnu font matière à vivre

Écrire pour la citadelle intérieure
Le refuge où jaillit la source d’espérance
Précieuse essence de joie

Écrire le corps assoupi de l’enfance
La lumière et l’ombre sur le mur
Quand tout en nous s’éveille
Et d’un champ de labour
Laisse venir le corps ressuscité

Écrire le renouveau
L’alphabet d’un ordre discordant
Enserrer le désordre
Lâcher la lettre morte

Écrire la vérité calme
A laquelle arrimer sa vie

Écrire
Sans les mots
Pour s’appartenir enfin

 

Catherine PONT-HUMBERT